Mercredi on avait RDV au port de Rha Gia à 8h pour prendre un speed boat pour une île. Phu Quoc Island. C’est comme ça qu’on a décidé de finir le voyage : une île, la plage, et ne rien faire. Deux jours. Sur 3 semaines.
Sauf que quand on s’est présenté au port, on a été informé que le bateau ne partait pas…. A cause du mauvais temps… Je sais bien que je ne suis pas tout à fait qualifiée en terme de navigation, mais a priori, avec un ciel légèrement nuageux, quelques rayons de soleil, et pas un pet de vent, moi je dirais, que… c’est un temps idéal pour naviguer !
Bon, le gars en face de moi parle 4 mots d’anglais (« no boat », «bad weather », «Tomorrow », « maybe »). Donc inutile de discuter avec lui.
Donc on se retrouve plantés là, à 8h, avec la possibilité d’une île qui s’envole. Pas d’autre moyen que ce fiche bateau pour y aller. Il y a bien un vol par jour, mais c’était tôt ce matin, l’avion est parti. Au secours. Je veux mon île. En plus y a rien à faire dans cette ville, on a fait le tour hier soir, et noooon, pas une journée de plus ici, pitié. Et aussi, je pense à notre Resort de malade réservés pour 2 nuits. C’est pas juste.
On appelle l’agence qui nous a vendu ce billet de bateau fantôme, elle ne voit pas d’autre solution.
On appelle l’hôtel sur l’île, pas d’autres solutions.
On est environ 6 ou 8 à piétiner comme ça, super déçus. Il y a pourtant un petit groupe de Vietnamiens qui nous ont bien repérés à quelques mètres, enfourchés sur leur mobylette. Ils attendent, mais on ne sait pas quoi. Mais ils nous fixent. Ils analysent les animaux piégés que nous sommes.
L’un d’eux s’approche : « il y a un autre port, plus loin, avec un bateau qui part pour l’île. Je peux vous y conduire. »
Bien sûr mon ami. Ce que j’aime, chez ces gens, c’est leur détermination. Et surtout, ils ne perdent jamais une occasion de se faire un peu de fric sur le dos des touristes.
On l’envoie promener. On n’y croit pas. Et surtout, comme il parle un peu Anglais, je lui dis « Ah oui ? Et pourquoi ton bateau partirait alors que celui-ci ne part pas à cause du mauvais temps ?! »
Il répond : « Vous, vous êtes des touristes, mais il y a des marchandises qui partent, ailleurs ».
Je n’y crois toujours pas. Je suis tellement contrariée, j’avais tellement envie de cette île, juste pour deux jours.
Il insiste. « je vous promets que je peux vous faire partir ».
Il s’accroche le gamin ! Mais bon, j’ai rien à perdre, ça vaut la peine d’écouter son plan. Après s’être agité avec les gars de son groupe, et après avoir passé quelques coups de fils, après une concertation avec son groupe, ils viennent à plusieurs nous expliquer le plan. Que je vous dévoile mot pour mot :
« Ok les gars, on vous emmène en mobylette avec vos bagages à 70 km d’ici, il y a un autre port, avec des Vietnamiens et des marchandises qui partent, dans 2 heures. On vous fait le même prix que ce que vous avez payé pour ce bateau. Si on part maintenant, on a le temps d’y arriver ! »
J’explose de rire. Il est malade ce type !! 70 km en mobylette, avec ma valise, qui fait 23 kg ! Plus mon sac à dos, plus comment ils conduisent ici, plus un bateau qui ne sort de je ne sais où, plus le sac de S, et la météo mauvaise, et….. non non, c’est de la folie.
Mais ce gars a une étincelle dans les yeux. Il a l’air sûr. S et moi on se regarde…. On hésite. « Ouais, et si c’est un plan foireux ton truc ? »
Et lui : « Si j’ai menti, je vous ramène ici, et vous ne payez rien ».
Purée, alors il est sûr !
C’est quand même hyper dangereux son truc. Et si c’est un bateau de merde et qu’on meurt noyés » Je vois déjà les titres dans les journaux.
Ouais, sauf qu’ici c’est pas joli, et de l’autre côté, une île, le soleil, un bungalow dans un super hôtel…
Je lui colle ma valise devant : « Vas-y, montre nous comment tu mets ça sur ta mobylette ! ». J’étais pourtant sure que c’était à ce moment précis que l’espoir s’écroulait. Mais le mec, y se démonte pas : il empoigne mon énorme valise, la met devant lui, s’asseoit sur la selle, empoigne le guidon, et… me fait son plus beau sourire. Il est fier de lui. Et moi, j’explose de rire, nerveuse. Une petite voix qui me dit « est ce que t’as le choix ??». On sent que c’est comme ça que ça va finir.
S. et moi on se regarde de nouveau, oui, on prend le risque.
Pour se donner bonne conscience, on demande un casque.
S. part en mobylette avec un petit vieux, son sac à dos entre ses pieds. Moi je pars avec ce gamin qui a l’air tout content de lui.
Deux autres filles, de Suède, se laissent convaincre aussi en voyant qu’on prend le risque.
Et c’est ainsi qu’une petite escorte de 4 mobylettes part un peu vite, vers un port qui n’est pas sur notre carte, prendre un bateau dont tout le monde ignore l’existence, sauf eux.
Je vous raconte pas dans quel état je suis sur cette mobylette. Je crois que je suis folle et que cette île risque de me coûter une paralysie. Ou une noyade. Et plus, il roule comme un taré (enfin, ici c’est normal), et il se marre quand je le serre plus fort parce que j’ai la trouille. Et il est là, ma valise entre les genoux, et il trace, et il trace. Je dois dire que des images d’eux sur ces mobylettes me repassent par la tête et ça m’aide : j’en ai vu qui transportaient un porc mort, un matelas 2 places, des tas de cartons, des chiens, des poules, des œufs, 3 copains, un bébé et sa mère, alors…. Pourquoi pas une touriste et sa valise ?
1h45 plus tard. Je suis débarquée dans un port on ne peut plus douteux.
J’arrive à peine à marcher, j’ai le visage tout crispé. Avec des moucherons collés, des larmes séchées (ben oui, le vent dans les yeux, ça pique !!), et une coupe, genre Tina Turner. En fin de … bon, vous connaissez.
Mais jusque là il n’a pas menti : à 1h45 de route il y a bien un port. S. et son petit vieux arrivent 5 mn après nous. Bon, il faut passer à la phase 2. Le fameux bateau. Je l’attrape par le bras : « montre moi ton bateau ». Il dit que c’est pas possible, qu’il est un peu loin. Mmmmn, j’aime pas ça. « je veux voir le bateau ». Bon, ok. Il parle à un pote à lui, qui ferait tout aussi bien l’acteur principal dans un film de Martin Scorsese qui se passerait en Asie. Son pote me fait signe de le suivre. J’enjambe des cartons, des tas de trucs, je sais même plus quoi. Je traverse un bateau, il me dit que c’est pas celui là, mais celui d'après. Le bateau est à peu près comme je l’imaginais, mais, pour être honnête, un peu mieux. Plus grand. Et à bord, des tas de gens, tous Vietnamiens. Là, je suis rassurée.
Je demande si c’est sûr. Il rigole, et me met le nez dans ma bêtise : « qu’est ce que tu crois, que nous on voyage sur des jolis bateaux comme pour les touristes ? C’est ça, nos bateaux ! »
Effectivement. Ni la moto, ni le bateau ne répondent à nos critères en sécurité, de propreté, de rapidité, etc. Pourtant, eux, c’est ainsi qu’ils vivent. Sont-ils 85 millions de fous ? Je ne crois pas. Il fait juste revoir tous ses référentiels, et faire confiance. Du coup, je me sens presque mal à l’aise de ne pas avoir fait confiance, d’avoir demandé à voir le bateau.Je souris. Le gars a compris ce qui vient de se passer dans ma tête. On échange un sourire amical. Je retourne vers mon chauffeur, je lui mets l’argent dans la main, et le remercie vivement. Car grâce à lui, on va sur l’île. C’est un super deal : lui il s’est sûrement fait des couilles en or, car on est 6 à partir, et nous, on sera sur l’île. Happy you, happy me.
On s’installe sur le pont, une odeur étrange attire mon attention : à côté de moi, des canards, et des poules.
Plus loin, un sac bleu qui bouge tout seul. En fait non, il y a des poussins dedans.
Il y a de tout sur ce bateau, des gens, un malade ( on dirait un homme en fin de vie qui veut retourner sur son île pour mourir en paix, son médecin l’accompagne et lui pose une sonde comme ça, devant tout le monde..), des légumes, des feuilles de palmier, des animaux, et 6 blancs. Ah oui, aussi des mobylettes !!
Le bateau a mis un peu de temps à partir. On s’est d’abord arrêté à la capitainerie. Le chef du bateau a apporté un poulet qu’il a pris dans la cage à mes côté au bureau. Je pense à Binh, qui nous a dit que la profession qui rapportait le plus dans le pays est la police, à cause de la corruption.
Ça a duré un bon quart d’heure. Ensuite le chef du bateau est revenu du bureau, il n’a pas l’air content. Il parle dans sa langue aux passagers, tout le monde est bien attentif, et nous on ne comprend rien. Personne n’arrive à nous expliquer.
La bateau fait demi tour, et s’arrête plus loin, avant le port de départ. On se regarde (les 6 blancs) : purée, on ne part pas, c’est sûrement le mauvais temps, merde, mauvais plan !! Le chef fait déplacer une dizaine de passagers vers l’arrière du bateau, et ensuite on reste là, un bon quart d’heure. Et on repart, cette fois vers l’île.
J’ai mis quelques minutes à déduire ce qui venait de se passer : malgré le poulet offert, le capitane a dû déduire qu’on était trop chargé. Donc la bateau a fait semblant de retourner au port décharger des gens. En fait, il a caché des passagers !!! Et s’est représenté à la capitainerie, et on est parti !
On aura mis 4 heures à faire la traversée. On s’est bien marré, il a fait super beau, on a dormi sur les colis, j’ai lu, bref, c’était un super voyage en mer (et une météo idéale !!)Même que sur Superdong II, ça n'aurait surement pas été aussi bien.